Parcours d'un artiste

La reconnaissance, lente mais progressive, de l’art africain contemporain, notamment au travers des grandes biennales et d’autres grands événement culturels internationaux, révèle une réalité foisonnante et dynamique. Le début des années 1990 marque une prise de conscience, en Europe, de l’existence d’une multitude d’artistes contemporains porteurs d’une force créatrice originale. Entre l’artiste qui émerge progressivement à partir d’une notoriété acquise localement et celui dont les oeuvres attirent tout de suite la sympathie d’un galeriste de passage ou d’un représentant d’une institution culturelle, il existe une infinité de situations intermédiaires. Malgré cet engouement récent en Europe pour l’art africain contemporain, un grand nombre d’artistes restent encore et resteront dans l’ombre, pour des raisons les plus variées : isolement, méconnaissance des réseaux de promotion culturelle, production irrégulière…

 

La composante traditionnelle ou ethnographique de la création plastique africaine a sans doute contribué à retarder cette prise de conscience. De l’exposition Magiciens de la Terre (1989) à celle intitulée Africa Remix (2004), toutes deux présentées au centre Georges Pompidou, des noms se sont imposés peu à peu au grand public, comme ceux d’ Ousmane Sow ou de Chéri Samba. Le recul des années, mais aussi l’intégration plus poussée de l’art plastique contemporain en général dans les grands courants artistiques du monde ont sans doute favorisé l’éclosion d’un regard plus pertinent sur les oeuvres parallèlement à l’émergence d’un certain nombre de repères à la fois chronologiques et socio-économiques.

 

L’oeuvre laissée par Bassirou Sidy N’Diaye témoigne d’un parcours fulgurant, très prometteur, mais qui malheureusement s’est achevé beaucoup trop tôt. Consacrer un ouvrage à un tel artiste ne paraît–il pas présomptueux ou disproportionné par rapport à ce qu’il a effectivement produit ? En effet, certaines maladresses techniques transparaissent, et ses oeuvres n’ont pas été suffisamment exposées pour occuper une place à part entière dans le cours de l’histoire de l’art. Pourtant, l’ensemble est attachant à plus d’un titre, ne serait-ce que par la densité de son parcours. En quelques années seulement, l’artiste est passé de la technique des « souwères » à la peinture sur toile, en passant par la mise en oeuvre de matériaux divers, en particulier l’encre de Chine et le sable., A la fois réceptif et capable de se réinventer, l’artiste a su rapidement se constituer un univers original. Sa démarche est d’autant plus intéressante qu’elle reflète un contexte culturel particulier, mais aussi les grandes tendances de la création artistique au Sénégal et en Afrique en général.

  

Au Sénégal sont nés et se sont formés un grand nombre d’artistes dont certains jouissent désormais d’une notoriété internationale. C’est le cas de Souleymane Keita qui, après un séjour de plusieurs années aux Etats-Unis s’est installé sur l’île de Gorée, ou encore de Philippe Sene ou Serigne Ndiaye, artistes accomplis. La majorité de ces personnalités ont forgé leur sensibilité artistique à partir de deux sources principales : la première, d’essence académique, est l’école nationale des Beaux-Arts de Dakar, dont l’un des fondateurs en 1959 fut le peintre Iba Ndiaye. Beaucoup d’artistes sortant de cette école trouvent souvent un premier lieu d’exposition à l’occasion de la célèbre Biennale de Dakar, véritable tremplin pour de nombreux artistes en attente d’une reconnaissance.

 

De même, il est possible de se former par un apprentissage non académique auprès d’artisans ou d’artistes locaux. Des peintres apprennent le métier sur les enseignes des petits commerces, ou bien, comme à Dakar, en faisant des portraits selon la technique très prisée des souwères. Beaucoup d’artistes issus de ce milieu populaire sont considérés comme des autodidactes. S’il est formateur, ce milieu est avant tout révélateur de démarches artistiques individuelles. L’artiste peut choisir, soit de se limiter à une recette technique rémunératrice, soit il dépasse la dimension technique pour exprimer librement sa sensibilité. Bien sûr, il ne s’agit là que de grandes tendances, les situations individuelles étant beaucoup plus complexes. Bassirou Sidy N’Diaye est ainsi à la croisée de plusieurs approches formatrices. A l’instar d’autres artistes, il ne peut s’empêcher de dépasser la technique apprise pour mettre en oeuvre ses propres recherches.