Les techniques picturales de Bass

Bassirou Sidy N’Diaye appartient à cette grande famille d’artistes constamment à la recherche de matériaux et de procédés techniques qui lui permettent d’exprimer une sensibilité exacerbée et d’inscrire durablement la profondeur de son message. En cela sa démarche rejoint celle de ses contemporains, dans laquelle les matériaux issus du monde industriel se combinent aux matériaux d’origine naturelle. La peinture acrylique, le verre et le plastique sont volontiers associés à des éléments minéraux et végétaux. La qualité plastique ou graphique de chacun des matériaux utilisés se double d’une valeur symbolique attribuée par l’artiste. La récupération, le ramassage dans l’environnement sont autant d’actes porteurs de signification et d’expériences esthétiques. Lorsque Bass entreprend la série de souwères à base d’encre et de sable, il n’est pas très éloigné d’autres artistes comme Ndary Lo, qui collecte sur la plage de Gorée les divers débris rejetés par la mer pour les intégrer à des installations suggérant les vestiges d’une mémoire collective.

Du thème de l’esclavage, d’aucun pourrait dire qu’il est relativement commun à de nombreux artistes qui expriment à travers lui un sentiment complexe de vide et de vertige. Le système esclavagiste instauré et systématisé par les Européens aux XVIIIe et XIXe siècles a laissé des traces indélébiles. Il est difficile de comprendre pour les Européens d’aujourd’hui ce que peuvent réellement ressentir les générations actuelles d’Africains par rapport à ce drame : vide existentiel, sensation de segments entiers soustraits à la continuité généalogique, de longues racines arrachées à la terre qui ont privé d’existence des familles entières. La notion d’ancêtres reste fondamentale dans les sociétés africaines actuelles, chez lesquelles la continuité entre le monde des morts et celui des vivants demeure une préoccupation essentielle et participe de l’épanouissement individuel et collectif. Les conséquences de l’esclavage dépassent de loin le niveau de la simple connaissance historique.

L’expérience de Bass, guide sur l’île de Gorée, a sans doute cristallisé sa réflexion. Elle lui a également fourni une matière à la fois évidente et inattendue, le sable des plages de Gorée même. Un matériau qui, sous couvert de sa simplicité et de son abondance, conduit l’artiste à s’aventurer dans les espaces de la recherche plastique et symbolique. C’est ainsi que le sable provenait en réalité, non du bord de la plage mais de plus loin, sous la mer. L’artiste sollicitait les services de jeunes plongeurs pour obtenir un sable vierge, riche d’authenticité, et de meilleure qualité.

Cette quête d’un passé authentique s’exprime également à travers les portraits de l’ethnie masaï que Bass a réalisés. Ces derniers incarnaient, selon lui, la profondeur d’une identité proprement africaine. Là encore, sa démarche rejoint celle d’autres artistes, comme Ousmane Sow et ses lutteurs noubas. La question de l’influence des artistes sénégalais sur l’oeuvre de Bass se pose. Dans les dernières années de sa vie, Bass est impressionné par l’oeuvre de Nicolas de Staël qu’il découvre au Centre Pompidou en 2003, et dont témoigne une de ses dernières toiles. Il est également sensible à l’oeuvre de Rodin et davantage encore à celle de Camille Claudel. Le rythme de sa création s’accélère tandis qu’il poursuit en parallèle ses recherches sur des techniques qu’il reprend et approfondit sans relâche.

La densité de la production artistique de Bass explique sans doute l’impression d’une oeuvre riche, issue d’une technique traditionnelle apprise sur le tas pour aboutir à une création complètement personnelle. Le parcours de cet artiste est sans doute indissociable d’une irrésistible volonté d’exploration plastique doublée d’une réflexion sur sa propre identité intérieure.